Histoire du moine Otfried

Le moine Otfried

Publié le vendredi 29 juin 2018 10:20 - Mis à jour le vendredi 29 juin 2018 10:20
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Né dans une localité de la Basse-Alsace sur les bords du Rhin, entre Seltz et Lauterbourg vers 790 il est décédé au couvent de Wissembourg entre 870 et 875. Moine bénédictin, premier poète de langue Allemande ( vieux-francique rhénan du Sud), grammairien, miniaturiste.

Il alla fort jeune à l'école du célèbre monastère de Wissembourg, une des plus anciennes et des plus renommées de la Germanie. Très doué, il y fut bientôt appelé à l'office des tabellions (où clercs et copistes écrivaient sur des <<tablettes>>). Il était <<scribe>>, c'est le titre qu'il se donna lui-même dans plusieurs actes du monastère.

Il poursuivit ses études à l'école de l'abbaye bénédictine de Fulda (Hesse), grand foyer religieux, intellectuel et culturel où enseignait le docte Hrbanus MAURUS et où il eut pour condisciple HARTMUT et WERINBERT, plus tard moines à Saint-Gall (Suisse). C'est à Fulda, ce haut lieu de la culture chrétienne en Germanie, qu' il put considérablement enrichir et affiner son esprit, le faire profiter d'un polissage et d'un vernis lustrant qui se reflétèrent par la suite dans ses productions poétiques. C'est également là qu' il fut initié, par les moines peintres BRUN et R0DOLPHE, à la peinture en miniature.

Il se rendit ensuite à Constance pour tirer profit des enseignements du savant évêque SALOMON. De là, il rejoignit ses anciens condisciples à Saint-Gall où il fut appelé à diriger l' école monacale.

De retour à Wissembourg, il y reçut la prêtrise et fut chargé de la direction de la <<schola monasticae>>. Apparemment il s' acquitta honorablement de ses fonctions pédagogiques puisque dans un poème latin de l' époque, il est loué comme excellent maître, <<schol-magister>>, de l'école monastique de <<leucopolis>> (<<la ville blanche>>, c'est à dire Wissembourg).

Incité par quelques frères à travailler la poésie religieuse en Allemand pour vulgariser la vie du Seigneur, il s'est penché passionnément sur le Liber evangelorium, le <<Livre des Evangiles>>, et l'a traduit dans sa langue maternelle, le francique de la région de Wissembourg.Son Harmonie poétique, Das Evangelienbuch, appelé aussi Krist (Christ), terminé vers 870, dédié à l'archevêque Louitbert de Mayence, est à la fois le premier monument écrit en langue Germanique et l'un des chef-d’œuvres de la littérature allemande. Tout en puisant essentiellement à la source principale, les Evangiles, il s'est aussi inspiré de l' Harmonie de TATIEN et a utilisé les ouvrages de nombreux théologiens et pères de l' Eglise ( Saint Jérôme, Saint Augustin, Saint Grégoire-le-Grand, Saint Pierre, etc. ). Il a magistralement paraphrasé les passages les plus intéressants du Nouveau Testament d'après la Vulgate. Fruit d'une vingtaine d'années de labeur, son poème comprend plus de 16000 vers. Divisé en cinq livres en l'honneur des cinq sens de l'homme, cet ouvrage sacré raconte la vie du Christ : le premier livre relate sa naissance et son enfance, le deuxième et le troisième retracent sa vie publique, le quatrième décrit sa passion et sa mort, le cinquième évoque la Résurrection, l'Ascension et le Jugement dernier.Titrés en latin, appelés <<lectiones>>, les différents chapitres qui narrent les épisodes les plus saillants, sont agrémentés de commentaires intitulés Spiritualiter, Mystice ou Moraliter qui sont des développements complémentaires de portée théologique et dogmatique, morale et didactique.

Par certains côtés, OTFRID annonce déjà <<l'homme de lettres>>, celui qui réfléchit, construit, structure, qui voit et surmonte les difficultés de son entreprise. Ce n'est pas le poète qui chante <<comme l'oiseau sur la branche>>, il écrit des <<préfaces>> pour <<présenter, exposer et expliquer>>.

L'atmosphère de son livre est faite de douceur et de suavité. Quand OTFRID développe, il n'insiste pas en prédicateur, il s'épanche en sentimental. Recherchant le calme cloîtré du couvent, il jouit des mouvements délicats et tendresse l'âme qui se prépare sereinement pour l'autre vie: <<le dualisme chrétien se teinte d'un besoin d'évasion qui confine à l'ascétisme>> (Albert FUCHS). Pour lui, l'intellectuel, les faits relatés par l'Ecriture contiennent tout le sens de l'histoire de l'humanité.

Autre innovation : non content d'introduire dans son récit des interprétations moralisantes ou métaphysiques, il a coulé son oeuvre dans une forme nouvelle, celle du vers rimé emprunté à la métrique latine tardive des hymnes ambrosiennes. Chaque vers comporte quatre temps forts alternant avec quatre temps faibles; ils sont groupés deux par deux en vers longs ( Langverse ). Pour la première fois résonne la rime servant de lien entre deux vers. OTFRID à su adapter le schéma de la versification latine au caractère particulier de la langue allemande. Il a remplacé l'ancien vers allitéré, caractéristique de la poésie germanique, par le vers rimé qu'il fit triompher habilement dans la poésie allemande.

S'il s'est attelé à transposer les Evangiles en allemand, c'est pour rendre service à ses compatriotes franciques qui ne possédaient pas le latin, pour qu'ils puissent se nourrir des vérités divines dans leur langue. Et s'il a décidé d'en faire un poème, c'est pour concurrencer les <<chants honteux des laïcs>> ( laicorum cantus obscenus ). Certes, il a écrit pour la gloire de Dieu, mais aussi pour celle des Francs, peuple aussi courageux et aussi valeureux, d'après lui, que les Grecs ou les Romains. Il veut prouver qu'un beau poème en francique peut rivaliser avec les oeuvres de l'Antiquité. C'est le premier Alsacien qui ait osé affirmer haut et fort qu'on peut tout dire dans sa langue maternelle pourvu qu'on sache le dire simplement et clairement: après lui d'autres ont déclaré et démontré cela, notamment REINMAR VON HAGENAU, Sébastian BRANT, Jean-Georges-Daniel ARNOLD, Albert et Adolphe MATTHIS, Nathan KATZ. Dans son oeuvre pointe une certaine fierté nationale: chez lui se combinent christianisme et nationalisme.

Grâce à son fond, à sa forme et à son style, le fameux Liber evangelorium remporta un succès retentissant et servit efficacement la politique des Carolingiens qui voulaient l'expansion chrétienne et le refoulement du paganisme.

Le plus ancien manuscrit, corrigé de la main même de l'auteur, se trouve à Vienne; les illustrations qui l'ornent sont attribuées à l'auteur et tiennent de l'ancienne école des moines miniaturistes de Saint-Gall; les trois autres exemplaires sont à l'abri dans les bibliothèques de Munich, Heidelberg et Berlin. Quelques fragments dispersés ont été découverts à Bonn et à Wolfenbüttel.

OTFRID VON WEISSENBURG était <<un des hommes les plus savants de son temps>>: il mérite à juste titre les épithètes de <<philosophe et théologien, poète et rhétoricien>>. TRITHEMUS le nomma in divinis scripturis eruditissimus (le plus érudit dans le domaine des écrits de caractère divin). Son Liber evangelorium est <<un des monuments les plus anciens et les plus intéressants de la langue tudesque>>.